Témoignages des sœurs

Mère Élisabeth de la Trinité

Entretiens de la Mère Élisabeth de la Trinité avec la Sœur Marguerite du Saint Sacrement, sur le Voyage du Fils de Dieu en Égypte, sur la Personne de la Sainte Vierge, sur les Pasteurs et les Rois Mages.

La Sœur Marguerite, étant interrogée par la Mère Élisabeth sur le Voyage du Fils de Dieu en Égypte, dit que la Sainte Vierge n’eut connaissance de la nécessité d’accomplir ce Voyage que par le témoignage de Saint Joseph, non qu’elle ignorât le sens de la prédiction du prophète Osée : « J’ai appelé mon fils de l’Égypte ». Mais Elle n’apprit le temps où cet Exil devait s’accomplir que par la bouche de Saint Joseph : ce que la Divine Providence avait permis pour augmenter le mérite de son obéissance, de sa résignation et de son sacrifice.

Elle ajouta que le Saint Enfant Jésus fut porté en Égypte peu de jours après la Fête de la Purification de la Sainte Vierge, et que le Saint Esprit les conduisit durant tout le Voyage, comme Il les avait conduits dans l’Étable de Bethléem ; enfin, qu’ils demeurèrent en cette terre l’espace de sept ans.

« Ces sept premières années, dit-elle, ont été si dignes de Dieu et ont rendu un Honneur si particulier au Père Éternel, qu’il nous est impossible de le comprendre. Les Anges adorent et révèrent cet Honneur, et nous devons nous unir à eux pour adorer et aimer cet État où le Divin Enfant a été durant ces sept premières années qu’Il a passées en la terre d’Égypte ».

Au moment où l’Ange avertit Saint Joseph d’emporter l’Enfant Jésus en Égypte, toute la crainte qu’il avait d’Hérode, dont la tyrannie lui était fort connue, lui fut ôtée, et il reçut une assurance en son âme que le Divin Enfant serait en sûreté sur cette terre étrangère. Il marcha donc conduit par le Saint-Esprit et accompagné des Saints Anges.

La Sainte Vierge portait son Fils entre ses bras, et Le regardant quelquefois avec un Amour qui ne se peut expliquer, Elle recevait de grandes Lumières sur la Fuite de ce Dieu Enfant. Elle entrait souvent en de hautes et amoureuses Communications avec le Père Éternel, qui Lui faisait comprendre les Mystères de son Fils ; et souvent avec les Anges, qui recevaient par Elle des Lumières sur l’Enfance de Jésus.

La Sœur dit que durant ce Voyage le Divin Enfant fut extrêmement travaillé du froid et fatigué du chemin qu’Il en pleurait quelquefois, et regardait sa Sainte Mère comme attendant d’Elle quelque secours ; que la Sainte Vierge, qui L’aimait d’un Amour de Mère fort tendre et fort sensible, souffrait de tout ce qu’Elle Lui voyait souffrir ; et que le mal de ce Divin Enfant pénétrait de telle sorte l’Âme de Marie et celle de Saint Joseph, que l’on ne saurait comprendre ce qu’ils endurèrent de tourments jusqu’au moment de leur arrivée en Égypte ; que le Père Éternel voulut conduire la Sainte Famille en cette terre comme en un lieu de retraite et de solitude, afin de s’y glorifier en son Fils et par son Fils, et de parler au Cœur de la Sainte Vierge et de Saint Joseph.

Aussi fut-ce en ce pays que la Grandeur des Mystères de la Sainte Enfance de Jésus leur fut clairement découverte. L’Enfant Jésus, dit-elle, approchant de ce royaume, disposa divinement l’esprit des Égyptiens à Le recevoir, et, bien qu’Il ne se fit pas connaître, sa Puissance agit néanmoins sur eux, de telle sorte que la Sainte Vierge et Saint Joseph, arrivant en Égypte, trouvèrent un accès facile auprès de ces idolâtres. Il y eut des personnes qui les accommodèrent d’une petite maison et qui leur donnèrent les choses les plus nécessaires pour leur ménage. Les Égyptiens se sentirent heureux de posséder la Sainte Famille. Ils La regardaient quelquefois avec admiration, selon qu’il plaisait à l’Enfant Jésus d’opérer dans leurs âmes. Ils étaient étonnés de la conversation si Sainte de Saint Joseph ; et quelquefois le Divin Enfant, leur faisant voir un petit éclat de sa Divine Beauté et de sa Douceur, agissait sur leurs esprits par une certaine application de sa Puissance par laquelle Il portait ce peuple à L’aimer.

Néanmoins Il imprimait en eux un si grand respect à son égard et envers la Sainte Vierge et Saint Joseph, qu’aucun d’eux ne put jamais prendre la liberté de traiter avec la Sainte Famille comme avec d’autres personnes. Les Égyptiens n’approchaient de l’Enfant Jésus qu’avec crainte et révérence. Jamais aucun d’eux ne L’a baisé ni tenu par la main, ni exercé sur sa Personne aucune espèce de familiarité tant ils étaient portés au respect envers cet Adorable Enfant, dont ils admiraient la Beauté et la Perfection, sans toutefois connaître sa Divinité.

Elle dit que cette humanité des Egyptiens ne leur était pas naturelle, et qu’ils n’auraient point fait à d’autres personnes étrangères l’accueil que reçut d’eux la Sainte famille ; que, par un effet de sa Puissance, Dieu les disposa de telle sorte que Saint Joseph et la Sainte Vierge ne furent point obligés de mendier leur vie, encore qu’ils fussent très pauvres. Chaque jour la Divine Providence faisait naître à Saint Joseph l’occasion de gagner par son travail ce qui était nécessaire pour entretenir sa Sainte famille.

Elle dit que, le temps de la sanctification des Égyptiens n’étant pas venu, ils ne reçurent pas la grâce justifiante ; que l’Enfant Jésus ne se manifesta pas à eux, quoiqu’Il agit puissamment sur leurs esprits pour les tenir en respect et en révérence ; que ce respect fut de telle nature, qu’ils n’avaient point de parole en la Présence du Fils de Dieu, de la Sainte Vierge et de Saint Joseph ; qu’ils portaient gravé dans leurs cœurs un sentiment de la Grandeur Sacrée de la Sainte famille, qui les engageait secrètement à L’honorer et à L’aimer ; mais qu’ils ne connaissaient ni le principe ni la nature de ce sentiment, et qu’il agissait dans l’âme de chaque particulier sans qu’ils fussent capables d’en parler ni de se le témoigner les uns aux autres.

Elle dit que Dieu l’avait produit en eux en la manière dont Il agit sur Caïphe lorsqu’il prophétisa qu’il fallait qu’un homme mourût pour le peuple ; que la Puissance de Dieu avait tenu sa langue et l’avait fait parler sans qu’il reçût aucun effet de la grâce ni qu’il en devint plus vertueux ; qu’ainsi Dieu avait excité et touché ce peuple sans qu’il en fût rendu meilleur, étant demeuré dans son idolâtrie.

Elle dit encore que les Égyptiens furent liés par le respect envers ces Sacrées Personnes à ce point qu’ils n’osaient les approcher ni les regarder qu’avec une certaine crainte dont nous ne connaissons aucun exemple. Cependant, lorsqu’ils étaient dans l’affliction, de quelque nature qu’elle fût, ils ne voyaient jamais le Divin Enfant, ni la Sainte Vierge, ni Saint Joseph, sans éprouver une paix inexplicable dans leurs âmes, laquelle dissipait toutes leurs tristesses et toutes leurs peines.

Elle dit que jamais ces Trois Saintes Personnes n’avaient eu de communication familière avec ce peuple ; que jamais le Saint Enfant Jésus ne fit d’actions puériles et ne se trouva jamais parmi les enfants des Egyptiens, mais qu’Il se tint toujours auprès de la Sainte Vierge et de Saint Joseph ; que les enfants même de ce pays Le révéraient sans oser Lui dire un mot ni s’approcher de Lui.

Elle dit que l’Enfant Jésus commença à marcher peu à peu comme les autres enfants ; que ce fut le jour où sa Sainte Mère Le sevra, qui était celui où l’Église célèbre la Fête de son Incarnation, quinze mois après sa Naissance, et que par ses premiers pas, Il marcha vers la Sainte Vierge et vers Saint Joseph.

Elle dit un jour ce qui suit :

« Le Saint Enfant Jésus a bien relevé les Vertus durant son Enfance ; car Il a été de telle sorte dans l’innocence, qu’Il ne s’est jamais abaissé aux puérilités des autres enfants. »

Et, jetant les yeux sur une image où le Fils de Dieu était représenté se récréant avec Saint Jean-Baptiste :

« Mon petit Roi, Lui dit-elle, votre Innocence n’est pas là bien dépeinte. Vous portez en Vous la Joie, la Douceur et la Bonté des petits enfants ; mais vos Mains Divines n’ont pas fait cette action. »

Lorsqu’elle voyait des peintures où le Fils de Dieu était représenté comme travaillant de son métier de charpentier, ou balayant la maison, ou rendant quelque autre service à la Sainte Vierge ou à Saint Joseph :

« Vous avez fait ces actions-là, disait-elle, et d’autres semblables, pour nous donner l’exemple, comme étant le plus humble de tous. »

Elle dit que l’Enfant Jésus, la Sainte vierge et Saint Joseph, sortirent de l’Égypte en silence, comme ils y étaient venus, et que les Égyptiens, se voyant privés de ces Saintes et Vénérables Personnes dont la présence leur avait apporté tant de joie et tant de consolations dans leurs peines, furent remplis d’une profonde tristesse, et que la Divine Puissance leur fit sentir la perte qu’ils avaient faite, sans leur laisser la liberté de témoigner leur douleur, et sans qu’ils connussent davantage la Dignité de cette Sainte famille.

Que le Saint Enfant Jésus entrant à Nazareth apporta une grande Joie à toute la ville ; que les parents de la Sainte Vierge en firent une réjouissance toute particulière, et que les enfants en furent tout émus ; mais que cette Joie, différente de la nôtre, fut produite par Dieu en eux, et accompagnée d’une profonde Révérence.

Elle dit que la Grâce de ce Divin Enfant imprimait dans l’âme de tous ceux qui conversaient avec Lui un si admirable respect, que jamais personne, ni grand ni petit, n’a osé prendre la liberté de Le caresser comme on fait d’ordinaire pour les autres enfants ; que cette Faveur a été réservée à la Sainte Vierge et à Saint Joseph ; que tous les autres qui avaient le bonheur de Le voir, L’aimaient et L’admiraient comme le plus beau et le plus parfait de tous les enfants des hommes, mais qu’ils demeuraient en sa Présence dans un respect que nous ne pouvons exprimer, parce qu’Il était mesuré à la disposition que Dieu mettait en son peuple, auquel Il voulait alors tenir cachés les Mystères de son Fils.

Dans ses entretiens avec la Mère Élisabeth sur la Sainte Vierge, la Sœur Marguerite dit que cette Vierge Sainte recevait une si grande Lumière sur la Dignité de son Fils, qu’Elle Lui voilait quelquefois le Visage, n’osant, par respect, Le regarder ; mais qu’Il lançait sur Elle et sur Saint Joseph des rayons de Lumière par lesquels Il les remplissait d’Amour et les attirait à contempler sa Beauté, dont la vue sanctifiait leurs âmes.

La Mère lui demanda si la Sainte Vierge n’avait point quelquefois parlé du Saint Enfant Jésus à Saint Joseph, et si, réciproquement, Saint Joseph n’en avait point parlé à la Sainte Vierge.

Elle répondit que non, et qu’il n’y avait point eu de discours tenus par manière d’entretien entre ces deux Saintes Personnes ; qu’ils ne s’étaient jamais parlé de la sorte ; qu’ils avaient dit en peu de mots les choses nécessaires, et qu’il n’était sorti de leur bouche que les seules Paroles que le Saint-Esprit leur avait fait dire ; que l’État de ces deux Saintes Personnes avait été si admirable et si Divin, que l’entendement humain n’est pas capable de le comprendre ; que nous ne le devons pas pénétrer selon la faiblesse de nos pensées, parce que notre esprit est si rempli de bassesse et si corrompu par le péché, qu’il ne saurait juger de l’État ni de la façon de vivre de ces deux Saintes Personnes, soit à Nazareth, soit en Égypte, soit en d’autres lieux ; que tout avait été rempli de Dieu en eux, et que, quoiqu’ils fussent semblables à nous, la grâce les avait néanmoins élevés à un degré éminent au-dessus de tous les autres hommes, et qu’elle avait sanctifié toutes leurs actions, toutes leurs paroles et toutes leurs pensées.

Elle disait que la Sainte Vierge et Saint Joseph avaient peu parlé au Saint Enfant Jésus, et que ce Divin Enfant avait peu parlé à la Sainte Vierge et à Saint Joseph ; qu’Il leur avait dit seulement quelques Paroles de Charité, et eux à Lui réciproquement, mais avec grand respect et révérence.

Interrogée si ce Divin Enfant ne leur avait point fait connaître dans ses entretiens les Vérités qu’il devait révéler au monde, elle répondit que le Saint Enfant Jésus avait été la Source de leur lumière et de leur intelligence, mais qu’Il ne les avait point instruits par sa Parole, ni en son Enfance, ni en tout le reste de sa Vie. ; qu’Il s’était toujours tenu auprès d’eux dans le respect d’un enfant envers son père et sa mère, ce que l’Évangile exprime assez lorsqu’il dit « qu’Il leur était soumis » ; que s’ils eussent dû recevoir l’instruction les uns des autres, le Saint Enfant l’eût plutôt reçue de la Sainte Vierge, tant Il était humble, que de la Lui donner par la Parole ; qu’Il était après d’eux comme la lumière du soleil sur la terre ; qu’Il versait incessamment ses influences sur leurs âmes, éclairait toujours leurs entendements, échauffait leurs cœurs, était leur Voie pour aller au Père, et que, par ses Opérations intérieures, Il leur découvrait la Vérité de ses Mystères ainsi que les choses les plus hautes et les plus secrètes de Dieu.

La Mère lui demanda si jamais la Sainte Vierge était allée voir aucun de ses parents ou de ses amis. Elle répondit qu’Elle n’en avait visité aucun autre que Sainte Élisabeth, chez qui l’Esprit Saint L’avait conduite ; qu’Elle n’avait eu amitié, ni communication avec personne ; que jamais Elle n’avait fait un pas ni une action, ni dit un mot indifférents.

Elle dit à ce sujet que les âmes qui s’arrêtent aux bassesses de la terre, qui recherchent d’être aimées des créatures, qui s’amusent à des bagatelles comme les gens du siècle, qui désirent quelque chose de ce monde, qui ne cherchent pas le Fils de Dieu en vérité, mais qui veulent mêler le monde avec Lui, sont fort éloignées de Le posséder.

« Ô, dit-elle, ils ne Le trouveront pas. L’Enfant Jésus veut être cherché tout seul, en simplicité d’esprit ; et cette Divine Simplicité bannit de nos âmes ces folies et ces bassesses. Point d’amusement, ni en nous-mêmes ni dans les créatures. Rien que Jésus cherché et servi simplement et en vérité. »

Elle fit comprendre si clairement à la Mère Élisabeth combien la pratique contraire était odieuse au Fils de Dieu et désagréable à la Sainte Vierge, que la digne Prieure en conçut un désir plus ardent encore de s’avancer dans la simplicité.

La Mère s’enquit si l’Enfant Jésus n’avait pas demandé à la Sainte Vierge les choses dont Il avait besoin. La Sœur Marguerite répondit que non ; qu’étant petit, Il avait pleuré et crié quelquefois comme un autre enfant, s’étant revêtu en vérité de toutes nos faiblesses, mais qu’Il n’avait rien demandé à la Sainte Vierge, parce qu’Elle était tellement conduite par le Saint Esprit, qu’Elle subvenait à tous les besoins du Divin Enfant autant que le Père Éternel le permettait, et que son Fils le voulait d’Elle.

Elle ajouta que, comme le Saint Enfant Jésus n’a rien demandé à sa Sainte Mère et s’est entièrement abandonné à sa conduite, qu’aussi Il n’a jamais rien demandé à personne ; qu’Il n’a pas mendié sa vie, le Père Éternel n’ayant pas désiré cela de Lui, mais ayant pourvu à ses besoins et à ceux de la Sainte Vierge en les confiant à Saint Joseph, à qui Il avait donné grâce pour trouver toujours matière de s’employer en son métier de charpentier ; qu’en Égypte et à Nazareth, la Divine Providence lui avait procuré assez d’ouvrage pour suffire à leur entretien ; que les membres de la Sainte famille étant d’une complexion fort robuste et la plus parfaite dont les enfants d’Adam aient jamais été doués, ils se contentaient de peu, usaient d’une nourriture pauvre et commune, et que leurs habits ne s’usaient pas plus que ceux des Israélites au désert.

Elle disait que Saint Joseph allait quelquefois travailler à la journée, mais qu’il n’entreprenait pas d’ouvrages susceptibles de détourner son esprit de son application à Dieu ; que les Saints Anges l’aidaient quelquefois dans ses travaux et l’accompagnaient partout par respect pour les dispositions que le Saint Esprit avait mises dans son cœur.

La Mère Élisabeth lui demanda si Saint Joseph voyait les Anges. Elle répondit avec une piété admirable qu’il les vit lorsqu’ils vinrent par milliers adorer le Saint Enfant dans la Crèche, et qu’il vit Saint Gabriel en songe lorsque, comme Messager de Dieu, il lui annonça sa Sainte Volonté ; mais qu’ayant été choisi pour garder le Fils de Dieu, sa qualité de Gardien et de Père Nourricier de Jésus l’élevait si haut au-dessus des Anges et ennoblissait ses yeux d’une manière si sublime, qu’il ne fut pas occupé à voir les Anges, quoiqu’ils fussent toujours auprès de lui, et que depuis qu’il eut le bonheur de voir Jésus la première rois, ses yeux ne s’appliquèrent plus à dessein qu’à Lui seul.

La Mère s’enquit si la Sainte Vierge se rendit à pied à Bethléem, si ce fut Elle qui mena l’âne et le bœuf, si l’Étable et la Crèche furent ornées de quelques lumières au moment de la Naissance du Saint Enfant Jésus. La réponse fut que la Sainte Vierge avait fait le voyage à pied ; que l’Enfant qu’Elle portait ne L’avait point incommodée ; qu’au contraire, Il L’avait rendue plus agile ; que la Sainte Vierge n’avait rien en sa possession que la petite Maison de Nazareth ; qu’Elle n’a eu ni bœuf, ni âne, ni aucune autre chose ; qu’Elle ne fit provision, pour la Naissance de son Fils, que des langes, des drapeaux et des bandelettes nécessaires pour l’envelopper ; qu’au Moment de la Nativité, l’Étable fut remplie d’une lumière qui surpasse nos sens, et que le bœuf et l’âne s’y trouvèrent par une particulière Providence de Dieu.

On lit dans les mémoires laissés par les anciennes Carmélites de Beaune pour servir à la composition de la Vie de la Mère Élisabeth, que le récit qui précède n’est qu’un abrégé de ce que la digne Prieure avait écrit à la suite de ses entretiens avec sa bienheureuse Fille. Elle a du reste avoué à plusieurs de ses Sœurs que le mouvement intérieur qui la portait à faire ces questions était, pour ainsi dire irrésistible :

« Il faut bien, disait-elle, qu’il entre dans les Desseins du Saint Enfant Jésus que la Sœur Marguerite communique les Lumières qu’Il lui donne sur son Enfance, sur sa Vie Cachée en Égypte et à Nazareth. Car ce que je lui demande ne vient point de moi-même, ni de l’envie que j’aurais de savoir ces choses : je ne puis m’empêcher de l’interroger, quoique j’en sois toute confuse. »

La science de la Sœur Marguerite sur toutes les circonstances relatives à la Naissance du Fils de Dieu était pour ainsi dire, inépuisable.

Elle dit encore que les Saints Pasteurs adorèrent Jésus en sa vérité, qu’ils ne vinrent qu’une seule fois dans l’Étable, qu’ils n’y demeurèrent que peu de temps, et qu’aucun autre Juif n’y entra ; qu’aucune personne de la suite des Rois ne s’y présenta ; que les Rois y entrèrent prosternés en terre et firent leur offrande l’un après l’autre, sans dire aucune parole ; que leur adoration se fit en esprit et en vérité ; que leurs présents furent en quantité fort médiocre : un peu d’or, un peu d’encens et un peu de myrrhe ; qu’ils n’offrirent ces présents que comme symbole des hommages qu’ils étaient venus rendre au Sauveur Naissant ; qu’ils baisèrent les Pieds du Saint Enfant dans ses langes, et qu’une grande Lumière leur révéla sa Souveraine Puissance.

Elle dit en outre que les Saints Pasteurs n’apportèrent aucun présent, qu’ils n’offrirent que leurs âmes, leurs cœurs et leurs volontés ; et que les Saints Rois avaient reçu de Jésus Enfant la Grâce des huit Béatitudes.

Voilà les Lumières que cette sainte Fille avait puisées dans l’oraison, en récompense de sa simplicité et de son innocence. La Mère Élisabeth était digne de participer à ces Lumières, et ce ne fut pas la moindre de ses gloires d’avoir été choisie de Dieu pour nous en transmettre le bénéfice.

Extrait du livre Vie de la Mère Elisabeth de la Trinité, par l’Abbé Collet

Mère Marie de la Trinité

Entretien de sœur Marguerite avec la mère Marie de la Trinité, sur les mystères de l’Enfance de Jésus-Christ, et les lumières admirables de la sœur.

Je ne m’arrête pas à écrire les connaissances que sœur Marguerite a eues de la béatitude de sa bonne mère, et de la couronne de sa patience. J’aime mieux employer la fin de ce livre à rapporter les singularités, que cette sage mère laissa par écrit avec les autres mémoires, des merveilles qui se sont passées dans l’enfance du sauveur du monde, dont sœur Marguerite l’avait entretenue durant ces maladies. Je lui faisais mes interrogations, et elle me répondait, dit la mère, mais en telle sorte que pour l’ordinaire elle n’était pas à elle-même lorsqu’elle parlait du Saint Enfant Jésus, quoique toutefois elle ne donnât pas ses réponses pour des révélations, mais pour des pensées qu’elle avait eues dans la lumière de l’oraison.

 Sur la personne de Saint Joseph.

 L’occasion s’étant présentée un jour de parler de Saint Joseph, et la bonne mère ayant demandé à sa fille qu’elles avaient été les grâces de ce grand saint ; elle dit, qu’elle croyait que la Sainte Trinité l’avait disposé dès sa naissance au grand ministère auquel il était destiné ; qu’il avait été sanctifié comme Jérémie et Saint Jean dès le ventre de sa mère ; qu’il avait toujours été juste et conduit du Saint Esprit et que jamais il n’avait ni conversé avec le monde, ni eu d’amitié profane avec personne. Que la Sainte Trinité se l’était conservé, et l’avait fortifié par une protection particulière contre toute la corruption du siècle.

Elle ajouta qu’il savait tous les arts par une lumière infuse, en telle sorte qu’il eût pu faire toutes sortes d’ouvrages ainsi que Béséléel, et Ooliab, que Dieu avait remplis d’intelligence pour travailler au tabernacle ; mais que par humilité il n’avait jamais voulu mettre la main qu’aux moindres ouvrages de charpentier, qui ne l’avaient obligé à converser qu’avec les personnes simples. Que la divine providence lui avait fourni des emplois conformes à cet esprit d’humilité et de retraite ; que toutefois il n’avait été occupé qu’à des choses honnêtes, quoique simples et de petite valeur.

Ces sentiments s’accordent avec ce qui est rapporté de notre Seigneur par saint Justin, qui faisait des jougs pour atteler les bœufs, et des charrues pour le labourage. Elle dit que Saint Joseph avait été le plus savant dans les choses de Dieu et le plus éclairé qui ait jamais été sur la terre après la Sainte Vierge ; qu’il avait surpassé en lumière tous les théologiens et possédé la Sagesse plus véritablement que Salomon. Que ces avantages avaient été d’autant plus excellents par-dessus ceux des autres saints, toutes les qualités de père nourricier de Jésus, et d’époux de la Vierge, étaient plus saintes et plus sublimes que le ministère de tous les autres hommes : qu’il avait été le plus parfait de corps et d’esprit qui n’ait jamais été après Jésus et la Sainte Vierge.

Elle me disait des choses rares sur le sacré mariage de ces deux incomparables époux, et sur l’union que la Sainte Trinité fit de leurs cœurs. À l’instant disait-elle, que Saint Joseph fut proposé à la Sainte Vierge, elle vit sa justice et il connut quelque chose de la grandeur de la Vierge quoi qu’il n’en connût pas toute la perfection. Comme ils avaient voué tous deux leur virginité par une singulière inspiration, dont ils avaient été prévenus, ils n’eurent aucunes pensées humaines sur leur mariage, mais s’abandonnèrent avec confiance à la divine conduite, qui leur fut manifestée sur ce sujet. Ce grand saint fut disposé par une surabondance de grâces à la haute dignité de père nourricier, de gardien et de conducteur de Jésus Christ, et quoi qu’il ne dût savoir le mystère de l’incarnation que peu de temps avant la naissance du fils de Dieu, il ne laissa pas de participer à la grâce de ce divin mystère. Le Sauveur caché dans sa Sainte Mère produisit en lui des effets admirables que nous ne sommes pas capables de comprendre, et il agit sur lui, non seulement par soi-même immédiatement, mais encore par la Sainte Vierge, comme par son organe, ainsi qu’il fit sur Sainte Élisabeth et sur Saint Jean.

La bonne mère ayant demandé pourquoi la Sainte Trinité n’avait point donné de connaissances à Saint-Joseph du mystère de l’incarnation ; elle répondit que ce mystère était si propre à Dieu que les hommes n’y devaient avoir aucune part ni par leur connaissance, ni par aucune lumière, et que pour cette raison Saint Joseph n’en sut rien que lorsque le temps s’approcha de rendre ses devoirs à l’Enfant et à la Mère.

Sur la peine de Saint Joseph lorsqu’il s’est aperçu que la Sainte Vierge était enceinte, elle dit qu’il ne fallait pas approfondir ni pénétrer ce mystère par notre raisonnement humain ; que Saint Joseph ne fit point de jugement arrêté sur la conduite de la Sainte Vierge ; qu’il souffrit alors la plus grande peine intérieure qui ait jamais été soufferte par aucun saint, et que lorsqu’il formât le dessein de quitter secrètement la Sainte Vierge, ce ne fut que par une perplexité d’esprit, et non par aucune pensée déterminée contre elle ; que ce fut une épreuve de Dieu qui afflige puissamment les âmes de quelque moyen dont il se veuille servir ; qu’au moment que l’ange lui dit, Joseph fils de David ne crains point, toute son inquiétude s’effaça ; qu’il fut parfaitement éclairé sur le mystère de l’incarnation, sur l’état du fils de Dieu au sein de la Vierge, sur la dignité de mère de Dieu, et qu’alors Dieu le remplit de grâces convenables à la haute vocation ; qu’il ne parla point de sa peine à la Sainte Vierge, ni elle de ce qu’elle avait souffert de le voir travaillé ; et que ces deux admirables créatures n’avaient eu aucun entretien des choses indifférentes.

La mère s’enquit si la Sainte Vierge n’avait rien témoigné à Saint Joseph, de ce que l’ange lui avait révélé sur le sujet de Sainte Élisabeth. Elle répondit que non, et qu’elle avait fait sa visite seule, étant conduite du Saint Esprit seulement et des saints anges.

En effet cette vérité se prouve manifestement par le trouble de Saint-Joseph ; lequel s’il eut accompagné la Sainte Vierge, eut appris par les paroles de Sainte Élisabeth, ce que sa sainte épouse lui avait caché de sa dignité de Mère de Dieu. De sorte qu’il ne faut pas s’arrêter aux peintures qui se font de ce voyage, puisqu’elles sont peu conformes à la parole sacrée.

Elle dit encore que la Sainte Vierge, parla fort peu avec Sainte Élisabeth durant tout le temps qu’elle fit séjour en sa maison, que le plus long entretien qu’elles eurent fut lorsqu’elles se saluèrent, et que le reste du temps fut employé en oraison, et en louanges de Dieu. Que personne ne vint visiter la Sainte Vierge chez Sainte Élisabeth, et qu’elle n’avait entrepris ce voyage que pour le grand effet de la sanctification de Saint Jean. Que depuis le moment de cette grâce Sainte Élisabeth demeura remplie de Saint Esprit, et que les choses qui se passèrent depuis en elle par la faveur de la Sainte Vierge, furent si grandes, que la seule lumière de Dieu les peut faire comprendre.

Il lui fut demandé pourquoi Dieu s’était plutôt servi d’un ange, que de la Sainte Vierge pour tirer Saint Joseph de peine ; elle répondit qu’il était convenable que ce mystère qui était au-dessus de toute pensée humaine fût révélé par une voie surnaturelle ; que s’agissant du roi des cieux né en la terre, c’était à un citoyen du ciel à le manifester ; qu’une si grande merveille demandait un témoin oculaire ; que le même ange qui l’avait annoncée à la Sainte Vierge, la devait annoncer à son époux ; que la Sainte Vierge était trop humble pour rendre un si grand témoignage de soi-même ; qu’il était très important qu’une affaire de telle nature fût autorisée par un témoignage divin, et que la révélation s’en devait faire par un des principaux Princes du Ciel, afin qu’elle acquît plus de crédit en nos esprits.

Elle dit que la Sainte Vierge passa en oraison continuelle les neuf mois pendant lesquels elle fut enceinte, qu’elle ne cessa d’adorer le Verbe uni à notre nature, et lorsqu’elle et Saint Joseph reçurent de l’empereur le commandement de faire écrire leur noms comme les autres, il partirent en diligence adorant l’ordre de Dieu caché sous cet édit du prince de la terre ; que ce fut le moyen choisi de Dieu pour faire naître son fils dans l’étable de Bethléem ; que la Sainte vierge porta avec elle les langes et toutes les choses nécessaires pour envelopper son Fils ; que ces linges étaient simples et pauvres, mais fort propres, et faits de la main de la Sainte Vierge ; que durant ce voyage la Sainte Vierge et Saint Joseph reçurent de la Sainte Trinité de très grandes grâces, et furent disposés chacun à son ministère.

La mère lui demanda si étant arrivés en Bethléem, où l’Évangile dit, qu’il n’y avait point de place pour le Fils de Dieu en l’hôtellerie, ils cherchèrent quelque lieu pour se loger. Elle répondit que oui, qu’ils avaient cherché avec soin, et que se voyant rebutés de tout le monde, ils étaient demeurés aussi contents que si chacun se fut efforcé à l’envie de les accueillir, qu’ils s’étaient abandonnés à l’ordre et à la conduite de Dieu.

La mère demanda s’ils avaient cherché l’étable de Bethléem, elle répondit qu’ils ne l’avaient, ni cherché, ni trouvé par hasard, mais que le Saint Esprit les y avait conduits, de même que Saint Siméon fut conduit au temple.

La mère demanda si Saint Joseph n’avait point parlé à la Sainte Vierge par le chemin et en entrant dans l’étable. Elle répondit que non. Que Saint Joseph en entrant en ce lieu fut élevé dans une haute contemplation sur les mystères qui s’y devaient accomplir et qui s’y accomplissaient, et qu’il demeura en cette contemplation durant les quarante jours qu’il fut dans l’étable.

Que durant ce temps la très Sainte Vierge fut servie par les anges et, qui lui apportèrent tout ce qui lui fut nécessaire pour son Fils : ce qui ne doit pas nous paraître plus étrange que ce qui est rapporté par Cedrenus, par George de Nicomedie, et par Pantaleon dans Metaphraste, que la même Sainte Vierge a été nourrie dans le Temple par les anges. Car comme dit George, écrivain très pur et très éloquent ; nous ne devons pas contester sur la qualité des viandes qui furent apportées à cette illustre créature, ni disputer si elles étaient de la terre, ou toutes célestes, lorsque nous voyons que le Verbe de Dieu s’est logé dans son sein d’une manière qui ne peut être expliquée par nos paroles. Ni nous ne devons pas douter que les anges ne l’ayant servie, lorsque nous apprenons que par le conseil du Père elle a été comme mise à couvert sous l’ombre du Saint Esprit. Rien de ce qui concerne cette chaste Vierge ne nous doit paraître suspect. Il n’y a aucun privilège ni aucun avantage qui ne lui appartienne légitimement ; tout en est certain et véritable : et de fait il était juste qu’une âme si pure fût honorée d’un tel destin, et qu’elle fût servie de telles viandes. Certes si nous ne trouvons pas incroyable ce qui est écrit de l’abbé Appollo, et de l’abbé Anuph, qui vaquant jour et nuit à l’oraison étaient nourris d’une viande céleste par les anges, il n’y a pas sujet de nous étonner si la Sainte Vierge au temps le plus saint et le plus heureux de sa vie a été servie par les serviteurs de son Fils.

La mère lui demanda comment Saint Joseph connut que le Saint Enfant Jésus était né, et si Saint Joseph, où les anges avaient préparé l’étable ? Elle répondit que Saint-Joseph ne fit rien en étable, et qu’elle ne fut pas non plus préparée par les anges ; qu’elle était comme elle devait être, et comme le Père Eternel l’avait ordonné pour la naissance de son Fils, qui devait naître pauvrement ; que Saint Joseph, entrant dans l’étable fut rempli du Saint Esprit, et que s’étant mis en oraison en un lieu un peu écarté, Dieu lui fit concevoir un désir de la venue du Messie plus ardent, plus pur et plus saint, que tous ceux qui ont jamais été conçus par les saints Pères ; qu’il fut revêtu d’une divine pureté qui le disposa à voir et à adorer le Fils de Dieu naissant ; qu’il fut élevé à la plus haute contemplation où jamais aucune créature soit parvenue, après la très Sainte Vierge, dans laquelle il fut occupé de la naissance du Fils de Dieu d’une manière qui ne se peut expliquer en la terre ; qu’au moment que le Saint Enfant Jésus sortit de la très Sainte Mère, et se donna au monde, il fit sortir de son âme des rayons d’une clarté et d’une splendeur admirables , qui pénétrèrent l’esprit de la Sainte Vierge et de Saint Joseph, et firent connaître à ce grand saint que l’Enfant était né ; que cette divine lumière découvrit à Saint Joseph l’état de la Sainte Vierge et de la pureté de son heureux et divin Enfantement ; qu’en ce moment il s’approcha pour adorer le Verbe incarné, et qu’il baisa ses pieds sacrés, et ses divines mains ; qu’il lui fit une pure, humble et amoureuse offrande de tout son être, et que le reste des quarante jours il demeura ravi dans la hauteur des mystères et des états de l’Enfant Jésus en la crèche ; qu’il vit les anges qui vinrent à milliers adorer l’Enfant, et qu’il ouït la musique et la joie du ciel pour cette naissance ; que pendant ces quarante jours il ne parla point , quoi qu’il vit les saints pasteurs et les saints rois, et qu’il eut connaissance de leurs grâces : et nous devons croire que ce profond silence de la Sainte Vierge, et de Saint Joseph, et leur sainte recollection devant le Fils de Dieu, ne contribuèrent pas peu à l’admiration de ces grandes âmes, qui furent choisies pour contempler et pour adorer ce secret mystère. Elle dit que ce fut Saint Joseph qui circoncit le divin Enfant, et qui lui donna le nom de jésus, selon l’instruction de l’ange ; et qu’enfin tout ce grand mystère s’accomplit en silence, la Sainte Vierge et Saint Joseph étant occupés à la considération des merveilles qui s’y passèrent.

Elle ajouta que ce n’avait pas été l’office de Saint Joseph de servir pendant ces quarante jours le Saint Enfant, ni la Sainte Vierge, dans les petites choses nécessaires à la vie, mais seulement de garder la Vierge, et adorer le Saint Enfant Jésus ; que la Sainte Vierge qui était la mère de l’Enfant, fut commise de Dieu pour en avoir tous les soins convenables ; que ce fut elle seule qui le servit, et qui fit pour lui toutes les choses qui lui furent nécessaires ; que pour sa personne elle n’eut besoin d’aucune chose ; que le Saint Enfant voulu honorer sa mère d’un État céleste et angélique ; qu’elle ne mangea, ni ne dormit durant ces quarante jours, mais qu’elle demeura dans une adoration continuelle : que le lait qu’elle donna à son fils fut divinement produit en son sein ; si bien que nous devons entendre à la lettre ces paroles des saints Pères et de l’église. La vierge allaitait son fils d’une mamelle que Dieu avait remplie ; que toutes les fois que le Saint Enfant fut sur le sein de la Sainte Vierge pendant cette quarantaine, il la nourrit et se donna à elle, comme le vrai pain qui est descendu du ciel.

Or encore que cette connaissance soit singulière, et que nous ne la trouvions pas, que je sache, dans les saints Pères, elle n’est toutefois ni en rien contraire à la foi, ni sans exemples aussi extraordinaires : et la majesté, la dignité, la sainteté de ses lumières éloignées de toute bassesse et très avantageuses à la gloire du fils de Dieu, et de la Sainte Vierge, nous obligent à leur porter grande révérence. S’il y a eu des âmes y ont vécu plusieurs années sans autre nourriture que du très Saint-Sacrement de l’Autel , et si notre sœur Marguerite même a été quelquefois de ce nombre ; pourquoi le Fils de Dieu recevant la vie de sa Sainte Mère ne la lui aura-t-il pas aussi bien conservée sans aliment de la terre, qu’il l’a conservée de la même sorte à beaucoup d’autres par sa pure libéralité ; et si le prophète Élie fit que la farine de la veuve Sarephta qui lui avait donné un morceau de pain, et que son huile ne se diminuèrent point durant plus de deux ans, quoi qu’elle en nourrit sa maison et Elie même : et si Élysée multiplia l’huile d’une autre, jusqu’à remplir autant de vases qu’elle en avait à elle, et qu’elle en put emprunter de ces voisines : si le Fils de Dieu multiplia aussi de telle sorte les pains au désert, qu’il en nourrit par deux fois plusieurs milliers de personnes : nous ne devons pas nous étonner si pour la gloire de sa Sainte Mère, il multiplia son sang et son lait, afin de la dispenser en un temps destiné au silence, à l’oraison, et à la pauvreté, de la servitude du boire et du manger, et du soin de les apprêter. Ce fut un miracle beaucoup moindre que celui que nous lisons qui fit en la personne d’une sainte, qui mise en prison toute blessée d’un coup de massue, et délaissée sans aucun secours, vit couler d’une de ses mamelles une huile excellente dont elle guérit sa plaie, et de l’autre un lait virginal dont elle se nourrit longtemps.

Elle dit encore que comme la Sainte Vierge ne parla point aux saints Pasteurs, ni aux saints Mages, qu’aussi ses saints ne lui parlèrent point, que le Saint Esprit nous a voulu exprimer le silence qui fut gardé en tous ses mystères, par ces paroles de l’Évangile. Et Marie conservait toutes ces choses en son cœur. Et par ces autres qui regardent le mystère de la purification. Marie conservait en son cœur toutes ces paroles.

Elle dit que la Sainte Vierge et Saint Joseph sortirent de l’étable en silence, et qu’ils portèrent le divin Enfant au Temple sans parler ; qu’ils accomplirent tout ce que la loi commandait, et qu’ils ne parlèrent ni à saint Siméon, ni à Sainte Anne, ni à aucun autre ; que le Saint Esprit les gouvernait, et conduisait toutes leurs actions ; que saint Siméon ne dit point d’autres paroles que celles qui sont remarquées dans l’Évangile, et qu’ils revinrent en Nazareth, gardant toujours le même silence : ce qui était digne de la grandeur et de la majesté des mystères, de la sainteté, de l’humilité, et de la sublime oraison de ces deux incomparables Epoux.

Elle dit que les Pasteurs ne virent aucune lumière en l’Enfant Jésus ni en la Sainte Vierge, de quoi nous ne devons pas nous étonner, puisque celle qui parut à la Sainte Vierge et à Saint Joseph était une lumière surnaturelle qui s’épandit sur eux de l’âme glorieuse du divin Enfant, et qu’ils ne virent que dans leur haute contemplation, où leur esprit fut divinement élevé au-dessus de l’ordre de la nature. Or plus ce privilège était conforme à la dignité et à la justice, plus il surpassait la portée des saints Pasteurs et des saints Mages, à qui ce fut assez davantage d’être les seuls en la terre qui vissent le Verbe dans l’infirmité de notre chair ; aussi furent-ils si assurés, dit la sœur, par les paroles et par la musique des anges, et par la lumière qui les environna, qu’il ne fut pas besoin qu’ils vissent rien d’extraordinaire en l’Enfant Jésus pour affermir leur foi. Ils ne virent donc que comme un autre Enfant enveloppé de ses langes, mais sous sa petitesse et sous sa pauvreté, ils connurent sa grandeur divine sans autre témoignage que celui-ci : vous trouverez l’Enfant enveloppé de drapeaux. Ils l’adorèrent en cet état et lui offrirent et consacrèrent tout ce qu’ils étaient. Ils virent la Vierge comme la plus belle, la plus pure et la plus parfaite de toutes les créatures, mais ils ne virent ni lumière ni aucune autre chose extraordinaire en elle, seulement ils la connurent pour véritable Mère de Dieu.

Elle dit que la lumière que Saint Joseph avait vue au moment de la naissance, n’avait pas été pour confirmer sa foi, qui ne fut jamais chancelante depuis que l’ange lui révéla le mystère : mais que le Fils de Dieu étant la source de la gloire, il se devait faire voir en naissant tel qu’il était dans Sa Majesté ; que sa naissance temporelle, où il nait comme lumière, et dans les Saintes splendeurs, et que la Sainte Vierge étant si chaste, il fallait que son Fils sorti d’elle avec cet éclat, qui d’ailleurs témoignait combien il était éloigné des souillures des enfants des hommes.

Extrait du Livre

La vie de sœur Marguerite du St Sacrement, Religieuse Carmélite du Monastère de Beaune, P. Amelotte, 1679

Mère Madeleine de saint Joseph

La Mère Madeleine de saint Joseph, du couvent de Dijon, a fait la relation suivante:

. . . . Ce qui m’a paru surtout admirable dans la vie de ma très honorée sœur Marguerite du Saint-Sacrement, c’est la perfection de son état, de sa vie, et même de sa conversation, dans laquelle je n’ai jamais pu surprendre le moindre petit défaut et la plus légère imperfection, un seul instinct purement humain. Tout était en elle tellement conduit et dirigé par l’Esprit du saint Enfant Jésus, qu’il se voyait clairement que le sien lui avait cédé la place, et qu’elle s’était transformée tout entière en lui. Il était impossible de ne pas la regarder comme un chef-d’œuvre, que le saint Enfant avait voulu faire de son Enfance et de sa crèche, et dans lequel il avait si divinement imprimé son innocence, sa simplicité, sa pureté, que ces vertus subjuguaient tous ceux qui avaient la consolation de l’approcher.
Il y avait en elle tout à la fois l’innocence et la simplicité d’un petit enfant, et une sagesse extraordinaire, qui éclairait les esprits et portait soumission pour suivre son conseil, quoique l’on eût une inclination contraire! Aussi la sainteté de son état m’a-t-elle fait plus connaître la dignité et la grandeur de l’état divin et adorable de Notre-Seigneur Jésus dans son humble Enfance, que tout ce que j’en avais appris.
Le saint Enfant-Jésus avait tellement pris possession de ses sens, qu’elle ne voulait que ce qu’il voulait, n’entendait que ce qu’il permettait, ne parlait que les paroles que lui-même lui donnait. Elle ne savait ce que c’était que retour et réflexion sur son état, sur ce qui se passait en elle, et sur aucune autre chose, étant dans une heureuse impuissance de s’appliquer, ou de recevoir en elle que ce que le saint Enfant-Jésus lui présentait lui-même.
Son humilité était ravissante ; dans l’innocence de vie qu’elle menait, elle ne se voyait que comme une très grande pécheresse, et se répandait sans cesse en larmes pour ses péchés. Si elle demandait pardon aux sœurs, comme le vendredi saint, c’était toute baignée de larmes des grands manquements de charité, et des sujets de peine qu’elle disait avoir donnés, quoique véritablement elle ne fût qu’un sujet de joie parfaite dans la maison, et un exemple admirable de religion.
Sa charité était si grande, que je n’ai jamais rien vu ni ouï qui m’eût fait si bien comprendre quelque chose de l’étendue et de l’immensité de la charité de Jésus-Christ, que celle que j’ai remarquée dans cette sainte âme. Elle se chargeait d’une multitude d’âmes quasi innumérables, pour lesquelles elle était appliquée au saint Enfant-Jésus, et pour lesquelles elle faisait ses dévotions particulières en nombre infini, sans que cette multitude la tirât tant soit peu de la tranquillité parfaite dans laquelle le saint Enfant-Jésus tenait son esprit. En même temps, la grâce qu’elle répandait autour d’elle était si grande pour réjouir le cœur, et l’élever à Dieu, que la tristesse s’évanouissait sitôt qu’on était proche d’elle, de sorte qu’en quelque peine et amertume que l’on fût, l’ayant un peu conversée, quand ce n’eût été qu’en la regardant, l’on demeurait calme, en paix, et l’esprit élevé à Notre-Seigneur et vide de tout ce qui le troublait.
Cette même charité de Marguerite ne pouvait ouïr des défauts d’autrui, sous quelque prétexte que ce fût. Cela me parut dans une occasion où j’entretenais la prieure du manquement d’une personne; le saint Enfant permit qu’elle ouït contre sa coutume, ayant éprouvé plusieurs fois qu’elle n’entendait rien de ce qu’on disait devant elle, bien qu’on parlât très haut, si l’on ne s’adressait directement à elle. Elle dit aussitôt à la Mère prieure que le saint Enfant n’agréait pas que l’on parlât des manquements de cette personne, et lui fit voir ce qu’il y avait de bon en elle. C’était sa coutume, quand, par récréation même, on lui voulait faire voir quelque petit défaut en quelqu’un, de l’écarter aussitôt de l’esprit, en alléguant les vertus de la personne dont on lui parlait.
Cette charité la rendait si sensible aux intérêts et aux souffrances du prochain, qu’on ne pouvait lui faire voir une peine en autrui, pour petite qu’elle fût, qu’on ne vît aussitôt son tendre cœur ému et touché de compassion, quoique je n’aie jamais su remarquer en elle aucune sensibilité pour ce qui la regardait.
Sa mortification était extrême; son repas se composait d’ordinaire d’un peu d’oseille cuite à l’eau et au sel, et de racines au vinaigre, où jamais il n’entrait de beurre. Dans ses maladies même, elle n’usait pas de viande. Elle passait les jours et les nuits en oraison, n’ayant pas d’autre repos que celui de l’Epoux, qui nous assure que son Cœur est toujours veillant. Ainsi le cœur de cette chère petite Sœur était ouvert, même pendant les heures destinées au repos, et ses yeux, qui s’ouvraient gracieusement sitôt qu’on approchait, donnaient un parfait témoignage que son corps ne dérobait rien à son esprit.
Sa patience dans les douleurs était si extraordinaire, qu’il n’y avait douleur, si aiguë qu’elle fût, qui pût tirer une plainte de sa bouche. Jamais elle ne parlait de ce qu’elle souffrait, et quand on l’obligeait à dire son mal, elle répondait en si peu de paroles, qu’elle témoignait bien que son application n’était qu’à souffrir purement, sans regard sur ce qu’elle souffrait. Sa douleur n’apportait pas même de changement à son égalité d’humeur, toujours également ravissante : elle ne faisait que changer la couleur de son visage ; mais Marguerite demeurait aussi calme et prête à ce qu’on désirait d’elle, que si elle n’eût éprouvé aucun mal. Elle était si soumise et si perdue dans la divine volonté du saint Enfant, qu’elle n’avait rien de plus cher que de la suivre en tout, et elle témoignait si bien cette soumission parfaite en toutes les rencontres de sa vie, qu’il ne semblait pas qu’elle pût ressentir de difficulté à quoi que ce fût qu’on désirât d’elle. Elle avait même si grande grâce à porter les âmes à cette soumission au vouloir de Dieu, et à s’y rendre avec agrément, qu’elle faisait trouver contentement à les faire, quoique ce fût chose très pénible. Le saint Enfant-Jésus s’était tellement plu à imprimer en elle sa divine simplicité, qu’elle ignorait absolument que l’on pût faire une feinte, ou dire une chose qui ne fût pas, à ce point que si on l’eût trompée en quoi que ce soit, et qu’on pensât à lui faire comprendre qu’elle était dans l’erreur, elle ne pouvait revenir de son étonnement. J’étais une fois proche d’elle, la regardant faire quelque chose pour le service de la chapelle du saint Enfant-Jésus. Elle était fort attentive à ce travail, et je vis que dans cette pieuse préoccupation, elle prenait des charbons ardents avec autant de facilité que si c’eût été des pierres ou du bois. Je l’en voulus empêcher, disant qu’elle se brûlerait ; mais elle me répondit dans une grande innocence : « Ils ne sont pas chauds ! ». Le feu matériel perdait sa force contre ce corps, en quelque sorte, tout spirituel déjà, comme le seront tous les nôtres après la sainte résurrection. J’ai remarqué qu’elle avait aussi dans ses membres une admirable agilité ; car devant être naturellement pesante, à cause d’une hydropisie qui la fatiguait, néanmoins, lorsqu’elle montait sur quelque chose, il semblait qu’elle y fût élevée tout-à-coup, sans qu’on pût discerner comme elle y était montée, aucun mouvement ne paraissant en ses jambes ni en son corps, pour y arriver.

Cette religieuse était fille de Nicolas Brulard, marquis de Laborde, baron de Sombernom, etc., premier président du parlement de Bourgogne. Elle avait passé deux ans et demi au monastère de Beaune et avait écrit plusieurs cahiers des merveilles (ce sont ses expressions) qu’elle avait eu le bonheur de voir en sœur Marguerite.

Sœur Marie de sainte Thérèse

La sœur Marie de sainte Thérèse (sœur converse) a fait la déclaration qui suit :

. . . . Notre sœur Marguerite du Saint-Sacrement était si patiente, qu’elle ne se plaignait jamais, malgré la violence extrême de ses douleurs; elle ne nous demandait jamais rien pendant ses maladies, pas même une goutte d’eau, quelque grand besoin qu’elle en eût.
Au plus fort de l’hiver, quoique très sensible au froid, à cause de ses grandes infirmités, elle ne s’approchait jamais du feu, si on ne lui en donnait. Quelquefois on la faisait sortir du chœur pour aller se chauffer à l’infirmerie ; elle y allait aussitôt, et lors même qu’il n’y avait pas de feu, elle se mettait devant la cheminée, comme s’il y en eût eu. L’ayant trouvée plusieurs fois, je lui demandais ce qu’elle faisait : « C’est notre mère qui m’envoie chauffer », répondit-elle. Je m’empressais alors d’allumer du feu, en admirant la simplicité d’une telle obéissance dans une âme si éclairée, et qui nous ravissait par ses lumières extraordinaires.
Pendant ses maladies, quand nous la faisions lever, elle ne demandait jamais à se recoucher, quelle que fût sa fatigue ; elle se fût tenue toute la nuit debout, si on l’y eût laissée, sans dire un mot. Quand elle était couchée, elle ne disait jamais qu’elle fût trop ou pas assez couverte, bien que la fièvre, qui ne la quittait presque jamais, lui fît subir des alternatives fréquentes de sueurs extraordinaires, et des frissons tels que rien ne pouvait la réchauffer.
Lorsqu’on l’asseyait sur son lit, elle y demeurait également sans mot dire, malgré la fatigue que lui causait bientôt cette position, malgré les frissons de la fièvre, malgré les courants d’air résultant des portes et des fenêtres qu’on pouvait quelquefois oublier de fermer. Une fois on déposa le soir sur son lit, pendant qu’elle était assise, un objet fort lourd qui l’empêchait d’étendre les jambes. On oublia de l’enlever ; notre sœur Marguerite n’en avertit pas quand il fallut la recoucher, et ce ne fut que le lendemain qu’on s’aperçut qu’elle avait passé la nuit, pressée et foulée par ce poids si importun, malgré de vives douleurs qu’elle éprouvait à une cuisse.
Il m’est arrivé plusieurs fois de voir son visage pâlir pendant que je l’habillais. Nous nous demandions quelle pouvait être la cause : et c’était une faiblesse dont elle ne nous disait rien. Sa pâleur seule la trahissait.
A quelque heure que nous lui apportions à manger, elle ne faisait jamais l’observation qu’il fût trop tôt ou tard. Que les aliments fussent froids ou chauds, fades ou mal assaisonnés, elle mangeait ce qu’on lui donnait. Etant même quelquefois sur le point de vomir, par suite de ses maux de cœur, elle dissimulait ce malaise, et s’efforçait de manger avec la même bonne grâce que si elle eût eu appétit. D’autres fois, il lui est arrivé de boire, sans mot dire encore, de l’eau gâtée. On ne pouvait deviner en elle un besoin ou une répugnance quelconque. Nous ne pouvions connaître la répulsion occasionnée par ses maux d’estomac, que quand elle rejetait ce qu’elle venait de prendre.
Elle n’était attentive qu’à la volonté ou à la voix intérieure de son divin Epoux. Ne nous suffit-il pas, disait-elle, d’être assurées d’une chose : « C’est que nous voulons aimer Dieu de tout notre cœur?… »

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