Marguerite du Saint Sacrement

Marguerite du Saint-Sacrement

    (1619-1648)
    L’épouse de l’Enfant-Roi
        Innocence, pureté, simplicité… Ce sont les vertus que Marguerite du Saint-Sacrement promettait à ceux qui contempleraient Jésus dans le mystère de son enfance. Que notre monde si compliqué, si agité, s’ouvre à la Paix qui vient de la crèche et dont Jésus nous révèle le secret: 

    «Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des Cieux appartient à ceux qui leur ressemblent» (Mt 19,14),

        Une « fondatrice » de six mois

        Le 7 février 1619, à Beaune, Jeanne Bataille, épouse de Pierre Parigot, donne naissance à son cinquième enfant. Elle en aura encore deux. Ce couple profondément chrétien vit confortablement des revenus de la terre et de la vigne. La petite Marguerite est baptisée le jour même. Six mois plus tard, un événement d’importance se produit : des religieuses du carmel de Dijon, fondé en 1605, après bien des démarches et des difficultés, ouvrent un carmel à Beaune. Le chanoine qui cède au carmel le prieuré Saint-Étienne n’est autre que le grand-oncle de Marguerite. Aussi pose-t-il une condition à cette cession : que sa nièce soit reçue au monastère, quand elle en aura l’âge, en qualité de « fondatrice » !

        Comme les mariages, qui étaient arrangés, ainsi sont préparées les vocations. Marguerite pourrait se révolter d’avoir été ainsi destinée au cloître ! Et pourtant, l’Esprit Saint va fondre sur cette âme d’enfant et la conduire précocement à une étonnante maturité spirituelle. Elle est douce et docile, gracieuse, et à ces dons naturels s’ajoute une piété grandissante. À cinq ans, le Saint-Sacrement l’attire comme un aimant et elle fait à Dieu dans le secret de son cœur l’offrande d’elle -même. Parfois, le froid la saisit au point qu’elle pense s’évanouir dans l’église, mais l’Esprit Saint la revêt d’une douce chaleur et elle peut continuer sa prière. Précoce aussi, et surnaturelle, est son attirance vibrante de tendresse pour les pauvres si nombreux en ces temps de guerres et d’épidémies. Elle accompagne sa mère dans ses visites aux malades et vainc ses répugnances en changeant les pansements souillés. Le dépouillement de Jésus qu’elle contemple dans la crèche fait naître en elle le dégoût de la richesse, des vêtements recherchés, des mets délicats.

         

        « Ne pas montrer nos souffrances »

        Tout semble sourire à la petite Marguerite : menue, un visage fin, un caractère aimable, un sourire délicieux, elle charme tous ceux qui la connaissent. Mais elle souffre d’accès de mélancolie, de tristesse, elle voit des monstres, entend des cris. Ses crises de convulsions font pleurer d’inquiétude sa mère qui, à chaque fois, l’emporte devant le Saint -Sacrement. De ce déséquilibre nerveux, Marguerite ne guérira jamais complètement.

        Au milieu des pires souffrances morales et physiques, Marguerite garde la paix et la sérénité. Elle résiste aux tentations et aux assauts du désespoir, son secours est la prière, de jour comme de nuit. Elle écrit à l’âge de dix ans cette réflexion étonnante qui explique son égalité d’humeur : Quand le Bon Dieu nous envoie des souffrances, nous devons nous efforcer de les cacher en nous et de ne pas les montrer aux autres qui ne sont pas chargés de les porter.

        La mort de madame Parigot vient mettre un terme brutal à l’enfance de Marguerite. Sur son lit de mort, sa mère la console et lui promet qu’elle sera carmélite. Marguerite, anéantie, court à l’église Notre-Dame. Prosternée devant la statue de la Vierge, elle la supplie de lui tenir lieu de mère et comprend dans son cœur qu’elle est exaucée.

        « Enfermée » dans l’Enfance de Jésus »

        Le soir même des obsèques, Marguerite, dans sa robe de deuil, est conduite au carmel par son père. Malgré son chagrin, elle est aussitôt inondée de joie. Elle est accueillie par mère Élisabeth de la Trinité, prieure, et mère Marie de la Trinité, maîtresse des novices. Deux heures durant, la pensionnaire de onze ans et demi va entretenir les deux saintes femmes de commentaires enflammés sur le Saint-Sacrement. Dès le lendemain, elle est admise à faire sa première communion et entend Jésus l’appeler : Ma petite épouse.

        Cette fillette, dont la sagesse et le sérieux coupaient des autres enfants, s’adapte très rapidement à la vie de la Communauté. Elle découvre la dévotion à l’Enfant Jésus, prospère au Carmel depuis sainte Thérèse d’Avila et prônée par l’École Française, alors en plein essor. Marguerite fait sien, sans peine, le vocabulaire bérullien : L’Enfant Jésus m’a enfermée dans les douze années de son Enfance.

        Mais une fois tombée l’exaltation des premières découvertes, les tentations reprennent le dessus. Elle voit la main du diable, des animaux affreux, des fléaux à venir ; elle perd le sommeil et ne peut prendre aucune nourriture tandis que des convulsions atroces tordent ses membres, suivies de longs assoupissements, de crises de frayeurs, de larmes. Les médecins parlent d’épilepsie, intrigués pourtant par la lucidité, la modestie et la douceur dont leur jeune patiente ne se départit pas. Le 6 juin 1631, à douze ans, épuisée et amaigrie, Marguerite reçoit l’habit de novice ; deux jours après, elle est trépanée, assise en toute conscience sur une petite chaise de paille. Elle pense au couronnement d’épines, exhale un léger soupir et se laisse faire, tandis que les médecins qui cherchent une tumeur dans le crâne découvrent un cerveau parfaitement sain. Les crises se succèdent jusqu’au 31 juillet où l’apparition de l’Enfant Jésus, assis au bord d’un puits, guérit Marguerite.

        L’Esprit d’Enfance et la grâce de la croix

        Marguerite peut commencer son noviciat. En août, Jésus l’in vite à être participante à l’état de son Enfance. Pendant six mois, elle va se trouver comme dans un paradis perpétuel. Ses sœurs la voient parfois lavée de pureté, embaumée de chasteté, le visage brillant d’une blancheur éclatante, s’abstenant un temps de toute nourriture. Ce sont ses vertus surtout qui frappent ses compagnes et ses supérieures : une humilité souvent mise à l’épreuve, une obéissance qui prend le pas sur sa nature entière et indépendante.

        Le 7 février 1632, Jésus l’encourage à la pénitence : Il faut que tu apprennes maintenant la science de ma Croix. Comme la petite Thérèse de Lisieux deux siècles plus tard, Marguerite est chargée du poids des pécheurs. Maladies, souffrances, infirmités ne la quitteront plus. Avertie des péchés et des désordres qui se produisent dans un monastère ou dans la personne d’un prêtre, elle ressent amertume et angoisse, elle souffre pour les orgueilleux et les impurs, pour les âmes vaniteuses, pour les paresseux et les blasphémateurs.

        C’est à l’Épiphanie 1632 qu’elle signe son acte de consécration : L’épouse du Saint Enfant Jésus en sa crèche. Elle fait sa profession solennelle le 24 juin 1635 ; Jésus lui apparaît sous la forme d’un enfant, lui remettant anneau, couronne et robe avec cette promesse : Je ne refuserai rien à tes prières. L’année 1636 est effroyable pour la France : guerres, invasions, sièges. Jésus confie à Marguerite : C’est par les mérites du Mystère de mon Enfance que tu surmonteras toutes les difficultés. Marguerite crée alors la « Famille du Saint Enfant Jésus » dont les « domestiques » vivront des vertus de l’Enfance et réciteront la Petite Couronne. Cette dévotion quitte très vite les limites du cloître. L’armée ennemie se retire et la Bourgogne va connaître deux siècles de paix.

         

        L’arrivée du petit roi

        Le 15 décembre 1637, tandis que toute la France prie pour la naissance d’un héritier au trône de Louis XIII, Marguerite est avertie de la grossesse de la reine, avant Anne d’Autriche elle-même ! Devenu roi de France, Louis XIV viendra au carmel de Beaune en 1658 remercier les sœurs pour leurs prières. Mais c’est un autre roi qui va faire son entrée au monastère.

        En effet, la renommée de Marguerite est parvenue aux oreilles d’un gentilhomme normand, le baron Gaston de Renty. Il se rend au carmel en 1643 sans voir Marguerite qui vit de plus en plus retirée. Il lui envoie, en novembre, la statue qui deviendra le cher Petit Roi de Grâce. Suite à un malentendu, cette sculpture arrive, humblement, avec le courrier : J’ai été bien étonné, écrit M. de Renty un mois plus tard, quand j’ai su que le petit Jésus a été porté par la poste. Mon Dieu ! Comment se fait-il que tout n’ait été brisé à être secoué près de cent lieues durant !

        Marguerite avait eu quelques années auparavant l’inspiration de faire construire une chapelle dédiée à l’Enfant Jésus ; elle sera consacrée le jour de Noël 1639. L’arrivée du Petit Roi coïncide avec la mort de mère Marie de la Trinité en décembre 1643. En 1644, Gaston de Renty rencontre Marguerite : Le Fils de Dieu fit une liaison si étroite de ces deux âmes que ce ne fut plus qu’un cœur et qu’un esprit. Ce saint homme qui est le directeur spirituel de la prieure, mère Élisabeth de la Trinité, se remet entre les mains de la jeune carmélite de 25 ans : Je m’abandonne à vous, ma très chère sœur, afin que vous m e formiez selon le désir de votre saint Epoux.

        « Quand tout sera consommé, l’Enfant Jésus me tirera à lui »

        En mars 1648, on l’installe à l’infirmerie d’où elle ne sortira plus. Alors que son corps est un abîme de souffrances, son âme est un abîme de paix et de joie : Il ne semblait pas que ce fut une créature mortelle, mais une âme déjà régénérée par la gloire.

        Jusqu’à la fin, elle remercie ses sœurs et les console : Vous me trouverez toujours au Saint- Sacrement. Elle s’éteint le 26 mai dans la matinée. Arrivent alors au carmel un défilé de fidèles ainsi qu’un volumineux courrier pour rendre un dernier hommage à la petite sainte. Gaston de Renty, qui suivra de peu sa sœur d’âme, écrit : Dieu a retiré au Ciel ce que la terre n’était pas digne de posséder. Saint Jean-Eudes avait vu Marguerite peu avant sa mort : Je ne puis dire le respect et la dévotion que le saint Enfant Jésus a imprimés dans nos cœurs au regard de sa sainte épouse ; nous avons déjà ressenti plusieurs effets de sa charité, spirituels et corporels. En effet, exaucements et miracles se succèdent. Marguerite est déclarée Vénérable en 1873.

        Sur la tombe on peut lire l’épitaphe en latin. Voici la traduction :

        « Le ciel a fait naître, en cette ville de Beaune, la B. Sœur Marguerite du Saint-Sacrement afin qu’elle fût la bénédiction de la terre, le prodige de son siècle et l’étonnement de la postérité. Dès son berceau Jésus-Christ l’a choisie pour la très pure épouse de sa divine Enfance, et l’imitatrice incomparable de ses rigoureuses et amoureuses souffrances. En l’âge de dix ans, Notre-Dame du Mont-Carmel l’a adoptée pour sa fille et pour sa sœur, lui donnant le zèle de saint Elie, le courage et l’amour de sainte Thérèse. Le Saint-Esprit versant en cette âme bénite la plénitude de ses grâces a fait de sa vie une victime innocente, une hostie de pénitence, un sacrifice de pauvreté et de simplicité, un holocauste d’humilité et d’obéissance, une parfaite consommation en toute sorte de sainteté. La science savoureuse des saints dans les plus hauts degrés de la contemplation, le don de la prophétie en toutes ses manières les plus pénétrantes, la victoire sur les Démons, et l’opération des miracles, qui semblent avoir commencé avec sa vie, continuent encore après sa mort, par les grâces très particulières que reçoivent tous ceux qui ont recours aux puissantes intercessions de cette vierge martyr.

        Epanche sur son tombeau des lys et des roses, et obtient de Dieu par ses prières la grâce d’imiter les rares vertus de cette merveilleuse épouse de Jésus Enfant dans la crèche, crucifié sur le calvaire.

        Elle acheva de mourir le 26 de mai 1648 âgée de 28 ans. »

            Procès-Verbal de La Translation

            (Registre 9G p 36 – 37)

            Nous, Soussignés, certifions et attestons que sur la demande des Dames Carmélites de Beaune et d’après l’autorisation des Autorités civiles et permissions des Supérieurs ecclésiastiques, il a été procédé le 20 janvier et les jours suivants de l’année 1820 à la translation dans la nouvelle maison de Communauté des Dites Dames Carmélites, rue Bretonnière à Beaune, des tombes et des dépouilles mortelles de la Bienheureuse Marguerite Parigot du Saint-Sacrement, de Marie Mignard de la Trinité et d’Elisabeth de Quatre Barbes de la Sainte Trinité, lesquelles tombes et dépouilles étaient restées dans le Chœur et chapelle adjacente de leur ancienne maison de Communauté à Beaune d’où elles ont été transférées dans l’Avant-Chœur de leur nouvelle maison de la manière suivante : Après avoir fait reconnaître et constater l’état des ossements par le chirurgien en chef, médecin du grand Hôtel-Dieu de Beaune qui en a dressé procès-verbal, nous avons déposé séparément dans trois caisses de bois de chêne, solides et bien fermées, les ossements de chacune des trois Dames Carmélites ci-dessus mentionnées et avons fait placer les dites caisses et les tombes correspondantes à chacune, à savoir :

            1° La caisse contenant les ossements de la Bienheureuse Marguerite Parigot du Saint-Sacrement et la plaque en cuivre trouvée dans son tombeau portant l’attestation authentique de ce précieux dépôt, dans le caveau creusé dans l’épaisseur du mur de l’avant-chœur, en face de la grande porte Vitrée et avons fait dresser et sceller sa tombe en la dite place.

            2° La caisse contenant les ossements de Marie Mignard de la Trinité dans le caveau creusé sur la voûte, près la porte du côté de la sacristie et avons fait dresser et sceller sa tombe en la dite place.

            3° La caisse contenant les ossements d’Elisabeth de Quatre Barbes de la Ste Trinité, dans le caveau creusé sur la dite voûte, près l’autre porte du Chœur et avons fait dresser et sceller sa tombe en la dite place.

            De quoi nous avons rédigé le présent acte authentique pour constater la translation et le dépôt en ces lieux de ces restes précieux, objet de la vénération des fidèles et particulièrement des Dames carmélites de Beaune et l’avons signé pour être déposé et conservé en original dans les archives de la dite Communauté. Fait à Beaune ce huit février de l’année mil huit cent vingt.

            MORELOT D.M, FORIEN, prêtre, ancien chanoine de Beaune, professeur de Philosophie, directeur des Dames Carmélites et du grand Hôtel Dieu, BRUNET DE LA SERVE, Le Voyer de la Ville de Beaune, architecte de la maison des Dames carmélites, TREBOUIL, Sœur Thérèse de la Miséricorde, Sous-Prieure, Sœur Marie de Jésus, Dépositaire.

            Nous, maire de Beaune légalisons la signature de Monsieur Forien, Prêtre, ancien Chanoine, Brunet de la Serve, Morelot, Docteur en médecine, Trebouil, voyer de la Ville, Sœur Trapet, dite Sr Thérèse de la Miséricorde, sous-prieure, Sœur Terrand, dite Sœur Marie de Jésus, dépositaire, attestons en outre que la vérité du présent procès-verbal ne peut être révoqué en doute et que nous nous estimons heureux d’avoir pu contribuer en quelque chose à faire rendre aux Vénérables Dames carmélites, les restes précieux d’une Sainte pour laquelle nous professons une vénération particulière.

            Fait à l’Hôtel de Ville ce neuf février mil huit cent vingt.

            ROCAUD

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